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— Il est d’usage ancien que le Fils du Ciel ne choisisse un ministre ou n’élise un gouverneur sans les approbations des Lettrés et des Censeurs ; or, sans en faire part aux Censeurs ni aux Lettrés, Kang-Shi vient de nommer un gouverneur dans la province du Fou-Kin. Cette irrévérence nous a choqués et nous irrite contre l’usurpateur tartare.

— Nous, cria un des Chefs de Troupes, — et sa voix hardie fit frémir le papier huilé des lanternes, — nous voulons des guerres et des sièges ! ce n’est pas la rouille, c’est le sang qui doit rougir nos fers glorieux. Or Kang-Shi, maintenant, est pacifique. Que les Pou-Sahs de la mort enveloppent Kang-Shi, qui ne fait pas se tremper dans le sang les glaives magnanimes des guerriers !

Jeune encore, un lettré de la Forêt des Mille Pinceaux salua l’assemblée d’un mouvement bien rythmé, remua sa tête avec élégance d’une épaule à l’autre, et, revêtant de termes nobles ses judicieuses pensées :

— Bonze impeccable, dit-il, lorsque Ouen-Tchang descend des nuages sombres pour se promener le soir sur la Montagne des Pêchers Fleuris, tandis que volette près de sa tête la chauve-souris inspiratrice, il écoute avec complaisance la grive violette qui, en chantant, le suit de branche en branche, et lorsque l’oiseau a fini de chanter, le Pou-Sah des vers, reconnaissant, ôte une bague de ses doigts sacrés et la met, comme un collier, au cou frêle du musicien, afin que, le lendemain, les jeunes filles, en voyant la grive orgueilleuse de sa parure, se disent entre elles :