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Chinois soient les fils de Kang-Shi. Le peuple, il est vrai, se réjouit de ce que son père n’est pas de sa famille, comme des enfants confiés à la surveillance distraite d’un étranger s’estiment d’abord heureux de n’être plus sous le regard sévère et pénétrant du père ; mais nous dirons au peuple : « Tu as tort de te réjouir », et le peuple reconnaîtra qu’il a tort. Cependant si Kang-Shi, vil Tartare, s’était borné à laisser tomber en désuétude les règles sublimes de la civilisation chinoise, je me serais borné moi-même à éveiller contre lui la colère des justes Pou-Sahs, et je ne me serais pas mis à la tête de la révolte ; mais, parmi les institutions ébranlées, la religion, plus dangereusement que toute autre, est atteinte. Kang-Shi ne s’inquiète pas du culte sacré ; les dieux sans doute lui paraissent inutiles ; il est incrédule aux présages, peu soucieux des prescriptions religieuses ; durant la dernière éclipse il s’est dispensé du jeûne et n’a point visité les pagodes. Des prêtres chrétiens, venus du Pays des Plantes sans Fleurs ou de la Reine des Fleurs de l’Ouest, circulent et blasphèment librement dans la Patrie du Milieu ; Pei-King leur est ouvert, leurs pagodes s’élèvent à quelques pas de nos pagodes ; l’empereur en a même laissé pénétrer quelques-uns dans l’enceinte interdite de la Ville Rouge, et jusque dans les chambres augustes de son palais. L’an dernier, nouvelle et cette fois intolérable insulte aux vrais Pou-Sahs et aux usages immémoriaux de la Nation Unique, un prêtre européen a été attaché avec le titre d’interprète à l’ambassade envoyée sur la fron-