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la multitude affairée. Quelquefois ils s’arrêtent devant l’ouverture carrée et encadrée de bois à jour d’une boutique aux belles enseignes ; ils laissent tomber leur regard désabusé sur les flots de satins, de brocarts et de soies qui ruissellent de l’étalage, puis ils s’éloignent, indifférents. Autour d’eux la foule se hâte ; les cou-lis, courbés sous des fardeaux, passent rapidement en cadençant leur marche d’un cri doux et mélancolique : A-ho ! a-ho ! Les chaises à porteurs se croisent, les unes basses, étroites, faites de bambous et couvertes d’un toit flottant de coton bleu ; les autres hautes, larges, en bois de cèdre, découpées ou peintes, et surmontées d’un dôme de laque noir incrusté d’or. Des personnes humbles ou peu riches se font voiturer dans de petites charrettes traînées par un âne. Quelquefois, glorieux et superbe, s’avance un soldat à cheval ; un serviteur à pied lui fraye le chemin en criant : La, la, la ! Des escamoteurs, des jongleurs, des sorciers se démènent et pérorent entourés de badauds rieurs ou attentifs, pendant que de la terrasse fleurie d’une maison une jeune fille aux yeux gais se penche curieusement. Devant des boutiques de marchands de dîners, de jeunes hommes mangent et boivent sous des treillis de bois rose ; ils chantent, babillent, improvisent des vers, assaillent les passants de moqueries plaisantes et font avec eux assaut d’ingénieuses reparties. Çà et là des cou-lis et des porteurs de chaise, accroupis, jouent aux dés, à la mourre, aux échecs ; quelques oisifs observent les coups d’un air grave en fumant une petite