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se relèveront après vous et lutteront encore. Le talon qui vous écrasera se sentira mordu, dévoré, rongé, et, un jour, c’est vous qui écraserez le crâne de l’intrus, et vous redeviendrez fiers, nobles, puissants, vous redeviendrez Chinois. Vous pourrez appeler votre empereur Père, il sera de votre famille ; la tête sera d’accord avec le cœur, et, vous souvenant du passé, vous prendrez pour dieu Ta-Kiang le laboureur !

Ko-Li-Tsin parlait à voix haute. Autour de lui le peuple applaudissait sourdement. Chacun poussait le coude à son voisin ou faisait un signe de tête approbatif, mais n’osait exprimer hardiment ses sympathies ; car les soldats tartares étaient là. Puis, vers le milieu du jour, trois chaises à porteurs somptueuses étaient venues se placer non loin des principaux rebelles ; elles avaient des draperies de satin jaune ; elles venaient donc de la Ville Impériale ; et l’on se disait à voix basse : « Est-ce que le Fils du Ciel a voulu assister à la mort de ses ennemis ? » Aucune de ces chaises ne s’était ouverte, aucun rideau ne s’était écarté, mais on prévoyait des fentes dans l’étoffe et derrière ces fentes, des yeux.

Cependant les exécutions étaient sur le point d’être terminées. Les monceaux de cadavres grossissaient, tandis que le nombre des rebelles diminuait. Bientôt ils ne furent plus que cent, et bientôt plus que dix. Le soleil descendait vers l’horizon. Enfin la dernière tête roula dans un lac rouge qui fumait, et les deux aides du bourreau s’avancèrent