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Elle reprit d’une voix plus basse :

— J’ai été heureuse, va ! bien heureuse ! vivre près de toi, te voir, t’entendre parler, quelle joie ! Je priais chaque soir les Pou-Sahs de me laisser ainsi toujours. Et puis, tu ne sais pas, toi qui es grand, ce que donne de bonheur l’humble admiration. Oh ! j’avais des éblouissements sans fin ! Quand tu tournais les yeux vers moi ou quand tu me parlais avec tant de douceur, j’étais fière comme si le soleil eût lui pour moi seule. Je ne comprenais pas tes actions, mais je les devinais glorieuses et sublimes, et je te suivais extasiée. J’ai été heureuse ! bien heureuse !

La voix de Yu-Tchin s’entrecoupait ; le sang qui n’avait pas jailli de sa blessure, se répandait intérieurement et l’étouffait.

— Ah ! cria Ko-Li-Tsin, le visage inondé de larmes et serrant avec désespoir son front dans sa main, la voir souffrir ainsi et ne pas pouvoir lui prendre sa souffrance ! Et c’est pour moi, c’est pour moi qu’elle meurt douloureusement !

— Tais-toi, répondit Yu-Tchin, n’aie pas de chagrin. Si tu savais avec quelle joie je meurs ! Car ma tête est posée sur tes genoux et mon humble vie a la gloire sans nom de sauver la tienne.

— Yu-Tchin ! Yu-Tchin ! ne meurs pas !

Yu-Tchin avait baissé les paupières. Sa poitrine haletait péniblement. Elle essaya de parler encore :

— Dis ? lorsque tu viendras dans le pays d’en haut, tu me permettras encore d’être ta servante ?

Puis elle étendit les bras, rouvrit brusquement les yeux et mourut avec un grand soupir.