Page:Gautier - Le Dragon Impérial, Armand Colin et Cie, 1893.djvu/303

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Écoute, dit-il. Je suis comme une bête sauvage domptée par la faim. Écoute ce que mon lâche cœur a conçu. Tout mon sang se révolte contre moi-même ; ma gorge ne veut pas laisser passer ces infâmes paroles ; n’importe ! un lion affamé dévorerait un Pou-Sah ! Écoute : Tu aimes Ta-Kiang ? Oh ! ce nom semble à ma bouche un tison ardent ! Ta-Kiang ! tu l’aimes, et tu veux pour lui la gloire, le triomphe, le trône resplendissant de la Patrie du Milieu ? Eh bien ! moi, monstre sans nom, je vais trahir mon père, le livrer aux égorgeurs, je vais faire capituler la Ville Rouge, ouvrir le palais et les salles des trésors ! Je prendrai le rebelle par la main, je lui ferai monter les degrés sacrés du trône ; puis, m’inclinant devant lui, je le saluerai empereur ! Mais, en échange de tant de lâchetés, tu me laisseras t’emporter loin, bien loin, si loin que le souvenir de mes crimes se perde pendant le voyage ; et alors, sans fin enlacé à ton corps, les yeux fixés sur tes yeux, je serai horriblement heureux.

Le prince, secoué par de grands frissons, riait un rire plein de sanglots.

— Eh bien ! disait-il, veux-tu ? je suis prêt.

— Ta-Kiang n’a pas besoin de ton aide, répondit Yo-Men-Li avec dédain. Il vaincra sans tes basses trahisons. Déjà il triomphe, déjà les portes de la Ville Rouge s’ébranlent. Et bientôt tu t’assiéras glorieusement sur le trône, Ta-Kiang, ô magnanime, ô superbe !

— Ah ! s’écria le prince, dont les yeux s’ensan-