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yeux ne soient pas pour mes larmes une digue infranchissable ? Croyais-tu que j’allais retenir le bras levé sur toi et te déshonorer à jamais ? Ô toi que je devrais haïr et que j’aime, sache que je n’ai plus un cœur de femme, et que je t’ai pris tout ton courage !

— Oh ! oui, dit Gou-So-Gol à voix basse en se relevant à demi ; tu m’as pris mon courage, car mes yeux sont troublés par les larmes, car ma gorge est serrée par les sanglots. Je t’ai fuie pour ne pas me tordre de désespoir en m’arrachant de tes bras. Grands Pou-Sahs ! avec quelle joie j’eusse accueilli, avant de la connaître, l’honneur, envié de tous les guerriers, qui m’éternise dans les mémoires ! Mais maintenant je dis : Que vais-je devenir au pays d’en haut puisqu’elle n’y est pas ?

— Je te rejoindrai bientôt, dit la jeune femme ! après cette guerre je partirai !

— Oui, mais je pars seul. Je suis comme un enfant que sa mère abandonne sous la pluie, dans un chemin solitaire.

— Songe à la splendeur qui environnera irrévocablement ton nom ! Songe aux Pou-Sahs glorieux, que désormais tu égales !

— Lorsque j’habiterai au delà des nuages, dit le guerrier, mes regards seront toujours baissés vers la terre, cherchant ta demeure.

— Ma demeure ne sera pas longtemps sur terre dit-elle, et je succomberai bientôt, glorieuse aussi.

Elle se tourna vers l’armée et ajouta d’une voix ferme et forte :