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brusques l’avaient saisie et garrottée, et bientôt ramenée au Palais Impérial. Là le mandarin-juge s’était hâté de l’interroger. Sachant que Ta-Kiang était libre, n’ayant rien à craindre que pour elle, elle avait avoué qu’elle était venue de Chi-Tse-Po avec un laboureur, son fiancé, que le chef du Repas impérial l’avait conduite dans la Ville Rouge pour tuer Kang-Shi, et que c’était elle qui avait porté le coup maladroit. On l’avait alors plongée dans un cachot pour la punir avant de lui ôter la vie, et depuis six lunes elle ne voyait pas le soleil. Le lieu où elle se mourait lentement était comme un tombeau profond. Yo-Men-Li ne l’avait jamais vu. Elle n’en savait que l’ombre froide et humide. Une fois par jour une main se posait sur son épaule, tandis qu’un plat était jeté auprès d’elle ; et, lorsque, vaincue par la faim, elle cherchait à tâtons son repas, ses mains rencontraient des animaux velus qui la mordaient dans l’obscurité. Une lutte pleine d’effroi et de dégoût s’établissait entre la prisonnière et les rats, et elle dévorait quelques restes salis. Longtemps elle pleura, se tordant sur La planche qui lui servait de lit. Puis elle ne pleura plus ; ses yeux secs lui semblaient de flammes. Comme d’un murmure confus, elle se souvenait de la vie, de Pei-King, des bonzes, du palais ; le champ de Chi-Tse-Po lui apparaissait vaguement, frais et ensoleillé, avec ses deux tours de pagode sur le ciel clair, minces et lointaines. Alors l’ombre l’étouffait, lui pesait comme une pierre de sépulcre, et, tendant les bras, elle poussait de longs cris de douleur. Ta--