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pents et les tigres pour leur ravir leurs grottes inaccessibles ; souvent ils descendaient dans la plaine et remontaient bientôt repus et chargés. Il y a aussi dans cette multitude des mendiants décharnés, haillonneux, et des artisans vaincus par la misère. Des prisons éventrées ont vomi des flots d’hommes hagards. Enfin d’innombrables traîtres transfuges se sont joints à l’armée : leurs corps trapus gardent des lambeaux d’uniformes, leurs visages féroces sont hérissés de poils ; leurs bras, qu’ils n’ont pas essuyés, sont rouges encore jusqu’au coude d’un massacre récent.

Cette foule formidable, fauve, bestiale, c’est l’armée de Ta-Kiang.

Ta-Kiang, durant trois lunes, a crié : « Je suis le Frère Aîné du Ciel ; je libère et je glorifie ! Je ferai grands les ambitieux et riches les avides ; l’esclave sera seigneur et le prisonnier libre ; ceux qui ont faim se rassasieront ; les criminels seront pardonnés. Je suis le Cœur de l’antique Patrie du Milieu, qu’on croyait mort depuis que le Tartare l’a écrasé sous son pied ; mais voilà qu’un sang impétueux le gonfle, et qu’il palpite, et ses battements formidables ébranlent l’Empire. L’imprudente antilope qui s’est aventurée dans l’antre d’un lion endormi a moins de terreur, lorsque le roi famélique ouvre ses yeux d’or, que le Tartare n’en ressent devant le réveil farouche de la Vraie Patrie. Je reprendrai le nom de la lumineuse dynastie et je m’assiérai sur un trône rouge et fumant, à la clameur triomphale du peuple. Que ceux qui sont de la pure race, que