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était habitée par un vieux marchand de lanternes retiré depuis longtemps du commerce. Il passait pour riche parmi les gens du quartier, car il possédait une seconde maison en face de celle où il logeait, et en tirait quelques revenus. Son ventre, du reste, avait l’ampleur d’un ventre de mandarin.

Un jour que, les mains derrière le dos, une petite pipe de métal à la bouche, il parlait sentencieusement à ses voisins des réformes à introduire dans la machine gouvernementale, des chances probables de la révolution, des dommages qu’une guerre civile ferait subir au commerce et spécialement aux propriétaires, il vit venir à lui un vieillard courbé par l’âge, le crâne couvert d’un large bonnet de feutre, le visage enfoui dans une barbe blanche, hérissée et ébouriffée, le corps enveloppé d’une robe brune assez misérable. Il était accompagné d’une petite vieille habillée d’affreux chiffons sales, et tous deux mutuellement soutenaient leur faiblesse.

— Salut, salut ! maître, dit le vieillard au propriétaire ventru, en s’inclinant selon les règles.

— Salut, salut ! dit le propriétaire, en se courbant à son tour.

— Je viens de lire les gros caractères d’une annonce ainsi conçue : « Que celui qui veut louer une maison à un prix raisonnable s’adresse à Sin-Tou » ; et l’on me dit que Sin-Tou, c’est toi.

— En effet, je suis Sin-Tou, dit le propriétaire d’un air majestueux, et depuis quelques jours plusieurs personnes se disputent ma maison.