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LE DRAGON IMPÉRIAL

parasols de larges feuilles envahissantes, de sorte que le ciel y trouvait à peine une petite place pour se mirer.

Ses cheveux mêlés aux feuilles et ses petits pieds nus chaussés d’herbes humides, une jeune fille trempait dans l’eau de jeunes bambous qu’elle venait de cueillir et les rangeait ensuite dans une corbeille, tout en chantant un joli chant rapide.

C’était une enfant de quinze ans, toute charmante, un peu farouche ; son tendre front avait la douceur du premier croissant de la lune, et sa bouche fleurissait plus délicieusement qu’une petite rose pleine de soleil ; mais ses grands yeux noirs, sous leurs longs cils brillants, avaient cette expression hardie et sauvage qui étonne dans les yeux d’une hirondelle que l’on vient de prendre.

Son costume de paysanne ne manquait pas de quelque recherche. Sur un large pantalon orange, elle portait une robe de lin couleur œufs de cane, liserée de noir ; et quelquefois, coquette, elle interrompait son travail pour aller cueillir une fleur rose ou bleue qu’elle piquait dans ses longues nattes, en penchant son visage vers l’eau.

Tout à coup elle tressaillit ; la tête renversée en arrière, elle prêtait l’oreille à un son lointain.

— Comme je reconnais vite le bruit de ses pas ! dit-elle. Je vais aller au-devant de lui.

Cependant elle ne bougea point.

— Cet empressement serait peu convenable ; il vaut mieux que je feigne de ne pas l’avoir entendu venir.