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neras quelques tsiens de plus pour m’avoir fait monter deux fois les dix étages ?

— C’est convenu.

Le gardien descendit et revint bientôt avec le fourneau et les fagots. Ko-Li-Tsin lui donna un liang, y joignit quelques tsiens, le congédia et se remit au travail, tout joyeux. D’abord il alluma le feu et fit fondre son morceau de colle, puis il commença à étendre le papier sur les tiges de bambou et à le coller avec précaution. Le grand vent de Tartarie ne s’était pas calmé. « Souffle, souffle », disait le poète. Bientôt le squelette léger fut entièrement recouvert. L’animal prenait un corps. Ko-Li-Tsin, avec de l’encre et son pinceau, lui fit de gros yeux ronds et des écailles.

Cependant la cigogne avait emporté une dernière lettre pour Yu-Tchin : et en se couchant, le poète se dit : « C’est pour demain. » Il ne dormit pas. Il écoutait le vent furieux battre les murs de sa cellule. Il entendait son ouvrage de bambou et de papier claquer et s’agiter comme s’il voulait s’envoler. Il se leva plusieurs fois pour aller voir s’il n’était pas arrivé quelque malheur.

— Allons ! allons ! fougueuse monture, ne pars pas sans ton cavalier, disait-il en resserrant les cordelettes.

Dès le lever du soleil le poète s’accouda à la balustrade de porcelaine ; il ne s’occupa nullement de son déjeuner. Il tenait ses yeux fixés sur le belvédère de la petite maison et murmurait :

— Pourra-t-elle l’apporter jusqu’ici ?