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TA-KIANG SE RÉVOLTE CONTRE LA TERRE

— Laboureur, demanda-t-il, comment te nommes-tu ?

— Ta-Kiang, répondit le jeune homme d’une voix rude et sans interrompre sa violente besogne.

— Eh bien ! Ta-Kiang, dit Ko-Li-Tsin, je te conseille de ne pas mettre autant de colère dans ton travail.

Puis il rêva un instant, en comptant sur ses doigts, et, fidèle à sa coutume invétérée d’appuyer ses moindres discours par des improvisations poétiques, il ajouta, parlant en vers :


Ô jeune laboureur qui maltraites la terre, si la terre a de la rancune, elle te donnera d’affreux épis contrefaits !

Et tes blés de riz, au lieu de sourire coquettement, seront semblables à des bouches édentées ;

Si bien que les poètes, en quête de comparaisons gracieuses, se trouveront singulièrement désorientés.

Cesse donc, ô jeune laboureur, de brutaliser la terre bienfaisante !


— La terre ! Je la hais, dit Ta-Kiang en mordant sa bouche. Tu penses que je la creuse afin de me nourrir ? Tu te trompes. Je la frappe comme je frapperais un ennemi, esclave sous mon talon. Ce sont des blessures que je lui inflige avec ce fer, et, si elle pouvait prendre un corps, comme je dévorerais sa chair et comme je boirais son sang avec délices !

— Eh ! qu’as-tu donc, qu’as-tu donc ? dit Ko-Li-Tsin. Il faut se résigner au sort que le ciel nous a fait. Vois, je suis poète, est-ce que je me plains ?