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tour. Le vent soufflera de l’est pendant toute la onzième Lune. Ce sera presque possible.

Ce soir-là le poète mangea peu et dormit moins. Il médita toute la nuit, faisant à voix basse de mystérieux calculs, et attendit le jour avec impatience. Dès l’aurore il se mit à marcher sur sa terrasse, calculant toujours, et songeant ; on eût dit d’un architecte qui combine des mesures.

— Je dois peser bien peu, disait-il, car j’ai déplorablement maigri depuis que j’habite cette tour. Tant mieux !

Il regardait souvent du côté de la maison d’où devait partir la cigogne. Il écarquillait les yeux et tâchait de reconnaître Yu-Tchin dans les formes vagues qu’il apercevait sur le belvédère. Enfin un point blanc se détacha de la toiture et monta lentement. C’était l’oiseau ; mais il semblait voler péniblement. De temps en temps il baissait le cou et regardait ses pattes comme avec étonnement. Il arriva enfin. Il portait une tige de bambou creuse, longue d’au moins vingt pieds, d’une légèreté excessive. Ko-Li-Tsin la détacha avec empressement.

— C’est cela ! c’est bien cela ! s’écria-t-il. Merci, bonne Yu-Tchin !

Après avoir donné à manger à la cigogne, il se mit activement à l’ouvrage. Détachant les longs cordonnets de soie mêlés à sa natte, il les unit solidement l’un à l’autre de manière à n’en former qu’une corde, puis tordit, ploya et lia le bambou.

— Cela me sert à quelque chose, disait-il, d’avoir été pendant toute mon enfance un affreux vaurien