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— Oh ! non, dit le prince avec inquiétude ; tu ne partiras pas. Ta seule présence a bouleversé mon âme. Je suis transformé, comme un ciel noir où se lève la lune. Ne me replonge pas dans l’ombre ; je ne pourrai plus y vivre. Je veux rester éternellement lié à toi, comme la lumière au soleil.

— Laisse-moi partir, dit Yo-Men-Li, fiévreuse ; ma mère mourrait d’inquiétude en ne me voyant pas revenir ; mon père me tuerait à mon retour, et ma mémoire serait déshonorée !

— Non ; car demain des envoyés glorieux iront dire à tes parents que tu vas être l’épouse du prince Ling.

— Nous ne nous sommes pas rencontrés selon les rites, dit la jeune fille ; le Fils du Ciel ne consentira pas à notre mariage.

— Si, méchante enfant ! Mon père ne me laissera pas souffrir, car il m’aime. Mais toi, tu ne m’aimes pas, tu me détestes ; tes regards tombent sur moi froids et courroucés.

— Je t’aimerai si tu me laisses partir.

— M’aimer ? Tu ne m’as même pas appris ton cher nom.

— Mon nom est Yo-Men-Li.

— Yo-Men-Li ! — Beauté faite de Désir et de Mélancolie, — dit le prince en fermant les yeux.

— Montre-moi la route, dit la jeune fille.

— Oh ! mauvaise ! mauvaise ! Tu dis que tu m’aimeras ? dis-tu vrai ? Je ferai ta volonté pour que tes yeux deviennent doux en me regardant. Mais tu ne m’aimeras pas, tu t’enfuiras, tu te cacheras ; je ne te verrai plus et je mourrai de douleur.