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de sang vermeil, les bourreaux s’écartèrent. Ko-Li-Tsin, pâle, regarda ses mains, puis les étendit vers le juge.

— On parle beaucoup d’une fontaine qui se trouve dans les jardins de Yuan-Ming-Yuan, dit-il. Elle est construite d’après un modèle étranger ; c’est un grand cerf qui s’effraie au milieu d’un large bassin d’albâtre ; des mille branches de ses hautes cornes sortent des jets d’eau limpide, et des chiens furieux l’entourent, crachant sur lui des hurlements liquides. Mais ne trouves-tu pas qu’une fontaine vivante, pleurant du sang, a des charmes plus nouveaux ?

— Veux-tu parler ? dit le magistrat qui froissait dans sa main sa barbe blanche et pointue.

— Je suis très bavard de ma nature, dit Ko-LiTsin, et tout disposé à te soumettre les ingénieuses observations que j’ai faites sur la culture du riz pendant mon séjour dans les champs de Chi-Tsé-Po. Cela ne manquera pas de t’intéresser.

— Tu avoueras pourtant, dit le juge irrité.

— Non ! dit Ko-Li-Tsin.

Les deux tortionnaires se rapprochèrent de lui ; l’un portait de la poix enflammée dans un bassin de cuivre, l’autre tenait un poignard aigu.

— Maudits cuisiniers, dit le poète, que préparez vous là ? C’est au moins le repas du mandarin des enfers ; car je ne vis jamais pareil aliment.

— Tu vas en goûter, dit le juge.

— Tant mieux ! lorsque j’aurai la bouche calciné et la langue réduite en cendres, tu n’espéreras plus me faire trahir mes amis.