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— Si je tuais ce soldat ? dit Ko-Li-Tsin, je le jetterais ensuite dans le fossé ; sa cotte de mailles et ses lourdes bottes l’attireraient au fond. Oui, ajouta-t-il en se moquant de lui-même, je tuerai, moi qui n’ai pas seulement un couteau, cet homme armé de toutes pièces. Avant que je me sois approché de lui, sa pique m’aurait traversé le cœur.

La sentinelle, dans sa promenade monotone, jetait parfois un regard sur Ko-Li-Tsin.

— Bien ! dit le poète, il m’a déjà remarqué et se défie de moi ; il paraît que j’ai l’air suspect.

Mais, à la grande surprise de Ko-Li-Tsin, le soldat semblait lui faire des signes d’intelligence.

— Que veut dire cela ? Pourquoi porte-t-il sa main à sa bouche ? pensa le poète, en imitant les mouvements de la sentinelle.

Cette manœuvre parut la satisfaire entièrement, car elle lui fit signe d’approcher du pont.

Lorsqu’ils furent près l’un de l’autre :

— Tu viens de sa part ? demanda rapidement la sentinelle.

— Chut ! dit Ko-Li-Tsin.

Le soldat cligna des yeux et se retourna vers la ville.

— De quelle part ? pensa Ko-Li-Tsin. Comment paraître tout savoir en ignorant tout ? Soyons prudent et audacieux ; cet homme est la porte par où j’entrerai. Il faut le vaincre. Entre un âne tartare et un poète chinois, la partie n’est pas égale.

La sentinelle revenait.

— T’a-t-elle remis quelque chose pour moi ? dit-elle.