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le collier des jours

d’eaux-de-vie, à dévorer des monceaux de nourriture, à accomplir des prouesses fantastiques ; le tout énoncé avec une richesse d’images, une abondance de gestes et une ampleur de voix, qui me stupéfiaient et me comblaient d’admiration.

J’aurais voulu l’écouter toujours, et un de mes désirs était de lire ses œuvres, mais j’avais beau fouiller la bibliothèque, je ne trouvais aucun livre de lui.

Un soir, il avait promis de lire, devant quelques intimes, un fragment de la première version de La Tentation de saint Antoine. Quand le moment fut venu, on m’envoya me coucher. Je suppliais, avec des pleurs et des cris, qu’on me permît d’entendre Flaubert, mais on déclara que ce qu’il allait dire n’était pas du tout pour les petites filles. Mon père était assez disposé à me laisser rester. Flaubert lui-même était attendri ; leur influence fut vaine et je dus céder à la force.

Une fois couchée, tout émue encore de la lutte, j’essayai de me résigner, mais les échos du Gueuloir arrivaient jusqu’à moi et je n’y pus tenir. Me glissant, pieds nus, sans bruit, je gagnai la salle à manger, séparée du salon par une porte à deux battants, qui était poussée sans être fermée tout à fait. Par l’entre-