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à cause de cela n’osait pas consigner sa porte, craignant de voir un ami éconduit par la maladresse du concierge.

Je ne me souviens pas d’avoir vu Gérard de Nerval, mais j’ai bien souvent entendu parler de lui. Il avait été le camarade de collège de mon père et c’est certainement l’ami qu’il a aimé avec le plus de tendresse. Jamais, il ne cessa de regretter « ce pur et charmant écrivain, qui, à l’esprit le plus ingénieux, au caprice le plus tendre, joignait une forme sobre, délicate et parfaite, » celui à qui Gœthe écrivait, après la traduction de Faust en français, que Gérard publia à l’âge de dix-huit ans : « Je ne me suis jamais si bien compris qu’en vous lisant. » Le chagrin causé par sa mort tragique ne s’effaçait pas ; mon père et ma mère en parlaient souvent entre eux, avec de vagues idées d’enquête et de représailles, car ils n’avaient jamais cru au suicide. N’ayant pas de preuves suffisantes, mon père n’osait pas écrire ce qu’il pensait, mais il le disait ; d’après lui, Gérard de Nerval n’avait matériellement pas pu se pendre là où il était accroché ; on l’avait assassiné, pour lui voler le prix d’un travail, qu’il avait touché la veille.

Paul de Saint-Victor, qui venait souvent, était un des mieux accueillis. Il se proclamait le disciple de mon père et ils avaient, entre eux, une