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le collier des jours

C’était dans la salle à manger. J’étais sur un bras de ma nourrice, et mon père, qu’on avait sans doute appelé pour me voir, debout devant moi, s’essayait à me faire des agaceries, pour me décider à sourire. Mais, le regardant de haut, je demeurai grave et hostile.

Alors, il me dit :

— Veux-tu que je te colle au plafond avec un pain à cacheter ?

Il ignorait, certainement, quel personnage j’étais, pour me faire une pareille proposition, et ma surprise fut aussi grande que ma colère. Le plafond, très proche de la place où l’on me tenait, me faisait juger le projet très réalisable, et un peu d’inquiétude s’ajoutait à mon indignation ; mais je ressentais surtout l’offense. Je dus avoir l’air bien comiquement outragée, car mon père éclata de rire et voulut m’embrasser ; je me rejetais vivement en arrière en me cachant contre l’épaule de ma nourrice.

Mon père ne se doutait guère que j’emportais de cette scène un souvenir ineffaçable et une assez longue rancune.