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Le mikado ordonne que tu ne te serves de cet écrit que lorsque tu seras certain que Hiéyas veut se parjurer.

— Tes ordres seront fidèlement exécutés, dit Nagato, qui prit la lettre en tremblant. Cette nuit même, je retournerai à Osaka.

— Que ton voyage soit heureux ! dit la Kisaki d’une voix étrangement douce.

Puis elle passa ; le prince entendit encore un instant le susurrement de ses robes frôlant les tapis.

Une heure plus tard, Nagato quittait le daïri et se mettait en route.

Il fut obligé, en traversant la ville, de maintenir son cheval au pas pour ne pas culbuter la foule joyeuse qui encombrait les rues.

D’énormes lanternes en verre, en papier, en gaze ou en soie, brillaient de tous côtés ; leurs lueurs multicolores envoyaient d’étranges reflets sur les visages des promeneurs qui, à mesure qu’ils se déplaçaient, paraissaient roses, bleus, lilas ou verts. Le cheval s’effrayait un peu de l’assourdissant tapage qui régnait dans Kioto. C’étaient les éclats de rire des femmes, arrêtées devant un théâtre de marionnettes ; le tambourin ronflant sans relâche et accompagnant les tours prodigieux d’une troupe d’équilibristes ; les cris d’une dispute qui dégénérait en bataille, le timbre d’argent frappé par le destin, répondant à un sorcier qui prédisait l’avenir à un cercle attentif ; les chants aigus des prêtres d’Odjigongem, exécutant une danse sacrée dans le jardin d’une pagode ; puis les clameurs de tout une armée de mendiants, les uns montés sur des échasses, les autres accoutrés de costumes historiques ou ayant pour chapeau un vase dans lequel s’épanouit un arbuste en fleur.