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Voici le héros qui tua un dragon terrible, installé, pendant de longues années, dans le palais même des mikados.

Voici Zangou, la royale guerrière, qui conquit la Corée ; Yatzizoné l’invincible, qui a pour bouclier son éventail ; le prince illustre qui devint aveugle à force de pleurer la mort de sa bien-aimée, tous passent en représentant l’événement principal de leur vie.

Puis la scène se vide et, après un prélude de l’orchestre, des danseuses, jeunes et charmantes, paraissent, vêtues de costumes resplendissants, ayant aux épaules des ailes d’oiseaux ou de papillons et, sur le front, de longues antennes qui tremblent doucement au-dessus de leur couronne d’or, découpée à jour ; elles exécutent une danse lente, molle, pleine d’ondulations et de balancements, puis, leur pas terminé, elles forment des groupes des deux côtés de la scène, tandis que des danseurs comiques, affublés de faux nez et de costumes extravagants, font leur entrée et terminent le spectacle par une danse échevelée où abondent les coups et les chutes.

Depuis le commencement de la représentation le prince de Nagato s’était adossé à une muraille, près du théâtre, et, à demi caché dans les plis d’une draperie, tandis que tous les regards étaient fixés sur la scène, il contemplait éperdument la souveraine, souriante et radieuse.

Il sembla que la reine sentit peser sur elle ce regard ardent et tenace, car, une fois, elle tourna la tête et arrêta ses yeux sur le prince.

Celui-ci ne baissa pas les paupières, un charme tout puissant l’en empêcha : ce regard, descendant vers lui comme un rayon de soleil, le brûlait. Un instant il se crut fou ; il lui sembla que la Kisaki, imperceptiblement,