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En effet, Fatkoura était debout sur la dernière marche de l’estrade royale ; mais l’expression morne de ses traits, la fixité, l’égarement de son regard contrastaient vivement avec l’expression enjouée et sereine, empreinte sur tous les visages. Elle remercia la Kisaki de lui avoir rendu ses faveurs ; mais elle le fit d’une voix si lugubre et si étrangement troublée, que la jeune reine tressaillit et leva les yeux sur son ancienne favorite.

— Es-tu malade ? dit-elle, surprise de l’altération des traits de la jeune femme.

— La joie d’être pardonnée, peut-être, balbutia Fatkoura.

— Je te dispenses de rester à la fête, si tu souffres.

— Merci, dit Fatkoura, qui, après s’être inclinée profondément, s’éloigna et se perdit dans la foule.

Les sons d’un orchestre caché éclatent bientôt et les divertissements commencent.

Un rideau se lève sur la paroi faisant face au trône et découvre un charmant paysage.

Le mont Fousi s’élève au fond, laissant voir, au-dessus d’une collerette de nuages sa cime poudrée de neige ; la mer, d’un bleu profond, piquée de quelques voiles blanches, se déroule au pied des montagnes ; un chemin ondule au premier plan, entre les arbres et les bosquets fleuris.

Voici un jeune homme qui s’avance il baisse la tête, il semble fatigué et triste. L’orchestre se tait. Le jeune homme élève la voix ; il raconte comment le malheur l’a poursuivi ; sa mère est morte de chagrin en voyant les champs, cultivés par son époux, devenir de plus en plus stériles ; il a suivi le cercueil de sa mère en pleurant, puis s’est tué de travail pour soutenir son vieux père ; mais le père est mort a son tour, laissant le fils