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ple, toi la déesse souriante que tout un peuple adorait.

— J’aimerai cette solitude, Ivakoura, dit-elle. Ici je suis libre, du moins, je suis délivrée de la tendresse d’un époux que je n’aimais pas, bien qu’il fût dieu. Ma pensée sera à toi tout entière.

— Pourquoi ne veux-tu pas fuir avec moi ? N’avons-nous pas assez souffert ? Tu m’aimes, et je ne respire que parce que tu es sur la terre. À quoi bon nous torturer ainsi ? Viens exilons-nous ! La patrie, c’est toi ; le monde, c’est l’endroit où tu poses tes pieds ! Que nous importe ce que diront les hommes ! la céleste musique de notre amour étouffera leur voix méprisable. Qu’importent à l’oiseau qui fuit ivre de lumière les murmures des reptiles attachés aux fanges du marais ?

— Tais-toi, ami, dit-elle ; ne me fais pas repentir d’avoir voulu te revoir encore.

— Pourquoi ne veux-tu pas m’entendre ? pourquoi es-tu si implacablement cruelle ? puisque ton époux a pris une autre femme, tu es libre maintenant.

— Non, prince, je ne suis pas déchue à ce point ; le mikado a ajouté une femme au nombre de ses épouses, mais il ne l’a pas élevée au rang que j’occupais, je demeure son égale et il est toujours mon maître. Si j’étais libre vraiment, malgré le blâme que j’encourrais, je viderais avec toi la coupe nuptiale et j’irais vivre où tu voudrais.

— Ah ! je tuerai cet homme qui nous sépare ! s’écria le prince dont l’esprit s’égarait.

— Silence, Ivakoura ! dit la reine d’une voix grave. Regarde le vêtement que je porte. Songe à ce que je suis. Désormais je n’appartiens plus au monde ; ses fièvres, ses folies ne doivent plus m’atteindre. Purifiée