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la proie d’une hallucination, et écarquillait les yeux, tâchant de comprendre ce qu’elle voyait. Cette face la regardait toujours ; elle avait de la neige dans les sourcils, sur les cheveux, la bouche ouverte, les yeux hagards. Omiti avait cru d’abord voir un homme adossé au poteau, mais en regardant mieux, elle s’aperçut que cette tête, qui n’avait pas de corps, était accrochée par les cheveux à un clou.

Omiti reconnut qu’elle était dans le carrefour des exécutions capitales.

Le sol était bosselé par les tombes, creusées à la hâte dans lesquelles on enfouissait les victimes. Le corps du dernier supplicié avait été abandonné au pied du poteau ; un chien, occupé à écarter le linceul de neige qui recouvrait le cadavre, poussa un long hurlement et s’enfuit emportant un lambeau sanglant.

Une grande statue de bronze, représentant Bouddha assis sur un lotus, apparaissait, tachée de quelques flocons blancs.

Omiti dompta sa terreur, elle traversa le carrefour en étendant les bras pour écarter la nuée de corbeaux affolés qui se heurtaient à elle. Ils la poursuivirent de leurs cris funèbres, qui se mêlaient aux gémissements de la mer.

La jeune fille s’enfonça rapidement dans une rue étroite qu’aucune lumière n’éclairait. La neige avait été piétinée, et c’était dans une boue glacée qu’elle marchait maintenant. L’obscurité était profonde, elle ne s’éclairait plus de la blancheur du sol. Omiti longea les murs afin de s’y appuyer ; mais les maisons ne se suivaient pas régulièrement ; il y avait des vides ; l’appui lui manquait quelquefois. Ses pieds s’enfonçaient dans des fondrières de neige molle qui, par places, commençait à fondre. Elle tombait, puis se relevait ;