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rée, apparaissait dans une toilette resplendissante. Son bateau était entièrement tapissé de brocart d’or ; la tente, de satin pourpre, avait à chaque angle des glands de perles. Le général Harounaga, complétement ivre, riait bruyamment, renversé sur les coussins.

Le siogoun détourna la tête. La barque passa. Fidé-Yori entendit encore un instant les éclats de rire du soldat.

Le prince de Nagato rêvait ; il ne regardait rien que le reflet des lumières dans l’eau ; il croyait y voir frissonner des braises, des pierreries, des flammes, des métaux en fusion. Il s’arracha à sa rêverie, cependant, trouvant que le silence se prolongeait trop longtemps, il leva les yeux sur le siogoun. Le visage de Fidé-Yori exprimait une mélancolie profonde ; pourtant, chaque bateau qui passait, le jeune homme le fouillait d’un regard avide.

Nagato l’examina quelques instants.

— Que cherche-t-il donc ? se demanda-t-il.

Fidé-Yori cherchait évidemment quelqu’un ; il poussait un profond soupir chaque fois qu’il était déçu dans son espoir.

— Maître, dit enfin Ivakoura, le peuple entier est aujourd’hui dans la joie. Je croyais que la tristesse s’était réfugiée dans mon seul cœur, mais je vois que tu en as gardé une part.

— Je devrais paraître heureux, en effet, dit Fidé-Yori ; mais, à toi, je me montre tel que je suis. Vois-tu, ami, une blessure morale qui ne veut pas guérir me torture. Le royaume est en paix, mon cœur ne l’est pas.

— Qu’as-tu donc, mon prince bien-aimé ? dit Nagato ; t’en souviens-tu, il y a quelques jours, tu m’as promis de me confier ton chagrin.