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— Pour réparer le mal que je t’ai fait, je voudrais donner ma vie.

— N’est-ce pas qu’on n’a de repos ni nuit ni jour ? il semble que l’on soit au fond d’un précipice bordé de rochers abrupts ; on veut remonter, puis l’on retombe. Mais je suis folle, ajouta Fatkoura, ta souffrance n’est rien auprès de la mienne, tu étais aimé.

Le prince eut un tressaillement.

— Oui, elle t’aime, je le sais, reprit Fatkoura avec un faible sourire. Crois-tu que le regard jaloux de la femme dédaignée n’ait pas su lire dans ses yeux ? Comme leur fierté s’éteignait lorsqu’ils se pesaient sur toi, comme sa voix, malgré elle, devenait douce quand c’était à toi qu’elle parlait, quelle inquiétude joyeuse à ton arrivée, quelle tristesse après ton départ ! J’observais, chaque découverte était pour moi un coup d’épée. La rage, la haine, l’amour déchiraient mon cœur. Non, tu n’as pas souffert autant que moi.

— Ne m’accable pas, Fatkoura, dit le prince, je ne méritais pas un tel amour, vois comment je l’ai récompensé. Tu es là mourante par ma faute, et je ne puis te sauver. L’horrible douleur qui m’étreint en ce moment te venge bien des souffrances que je t’ai causées.

— Je suis heureuse maintenant, dit Fatkoura, j’aurais pu mourir avant ton arrivée, et je suis près de toi.

— Mais tu ne mourras pas s’écria le prince. Suis-je fou d’être là inactif, stupide d’épouvante, au lieu de te porter secours, de faire panser ta blessure ! Tu es jeune, tu guériras.

— À quoi bon dit Fatkoura. M’aimeras-tu après ?

— Je t’aimerai comme je t’aime, avec une tendresse infinie.

— Comme on aime une sœur, murmura Fatkoura avec un sourire amer. Ah ! Laisse-moi mourir.