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prince un éventail, passé dans la ceinture de toile d’argent qui serrait sa robe.

— Non, dit Nagato qu’est-ce donc ?

Elle prit l’éventail et le déploya.

Il était en papier blanc poudré d’or ; dans un coin, l’on voyait une touffe de roseaux et deux cigognes qui s’envolaient ; à l’autre angle étaient tracés quatre vers en caractères chinois.

« La chose qu’on aime plus que tout, dit la reine lisant les vers, que l’on aime mieux que nul ne saurait l’aimer, elle appartient à un autre ; — ainsi le saule qui prend racine dans votre jardin — se penche poussé par le vent et embellit de ses rameaux l’enclos voisin. »

— Ce sont les vers écrits par moi au Verger occidental ! s’écria le prince. Tu as conservé cet éventail ?

— Je n’en porte jamais d’autre, dit la Kisaki.

Ils riaient tous deux, oubliant leur souffrance passée, jouissant avec délices de cette minute de bonheur. Elle ne parlait plus de retourner au palais.

— Si tu étais mon frère ! s’écria-t-elle tout à coup, si je pouvais sans être calomniée passer ma vie près de toi, comme les jours s’écouleraient délicieusement !

— Et tu voulais, cruelle, me chasser de ta présence !

— La reine avait ordonné cela ; devant tes larmes, la femme n’a pu lui obéir ! Mais, à ton tour, dis-moi, comment m’as-tu aimée ?

— Il y a longtemps que je t’aime, dit le prince ; mon amour est né bien avant que tu m’aies seulement aperçu. Lorsque mon père abdiqua en ma faveur, je vins faire ma soumission au mikado. Au moment où je sortais de l’audience, tu passas devant moi sur une galerie. Je crus voir Ten-Sio-Daï-Tsin elle-même, je demeurai muet de surprise et d’admiration. Tu avais les yeux baissés ; tes longs cils faisaient une ombre sur tes