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de nouveau les yeux encore humides du prince.

— Tu m’as vaincue, disait-elle je croyais pourtant ma résolution irrévocable ; puisse-je ne pas être punie de ma faiblesse !

— Punie ! pourquoi ? dit le prince, quel mal faisons-nous ? Tous les seigneurs de la cour ne sont-ils pas admis en ta présence ? Moi seul, parce que je suis aveugle à tout ce qui n’est pas ta beauté, j’en aurais été exilé. N’était-ce pas injuste ?

— C’était sage et prudent, dit la reine qui soupira, mais j’ai cédé, ne parlons plus de cela. Retournons vers le palais, ajouta-t-elle, on doit me chercher encore ; allons faire savoir au peuple que je suis sauvée.

— Oh ! reste encore un instant, murmura le prince, jamais nous ne nous retrouverons ainsi, au milieu de la nature, seuls, loin de tout regard. Il a fallu, pour amener cette circonstance, la guerre civile, le crime, le sacrilège. Demain toute la pompe de ton rang t’enveloppera de nouveau, je ne pourrai plus te parler que de loin.

— Qui sait ce qui adviendra encore ? dit la reine, le mikado s’est réfugié dans la forteresse qui a été aussitôt cernée par les soldats, j’ai été contrainte de rester au palais d’été, tout cela s’est passé ce matin, les révoltés avaient le dessus…

— Mais, depuis, ils ont été complètement vaincus, dit le prince ; le général ennemi a été tué et l’armée s’est soumise ; le mikado est libre. Mais ne parlons pas de cela. Qu’importe la guerre ! Dis-moi : depuis combien de temps m’aimes-tu ?

— Depuis que je te connais, dit la Kisaki en baissant les yeux. Je ne me doutais de rien, lorsqu’un jour la jalousie m’a révélé mon amour.

— Toi, jalouse ?