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taient entre les mains du soldat, elles étaient donc ordinairement redoutées d’une façon égale par ceux qui s’en servaient et ceux qu’elles menaçaient. Le prince avait réussi à se procurer cinquante fusils neufs et bien fabriqués, c’était une grande force pour sa petite armée ; cependant les matelots regardaient ces engins étrangers du coin de l’œil avec un certain mépris.

Les barques glissaient dans l’ombre, gouvernant droit sur l’île de la Libellule. Le bruit des rames, maniées avec précaution, se confondait avec les mille sourdes clameurs de la mer. Une petite brise se levait et sifflait aux oreilles.

À mesure que l’on se rapprochait de l’île, on s’efforçait d’avancer de plus en plus silencieusement.

Déjà on apercevait des feux entre les arbres ; on était peu éloigné, car l’oreille percevait distinctement les pas réguliers d’une ronde passant près des rives.

Le prince ordonna de contourner l’île et de chercher les jonques de guerre.

Elles étaient à l’ancre à une petite distance du rivage, ayant entre elles et la côte de Soumiossi, l’île de la Libellule.

Bientôt elles apparurent à ceux qui montaient les canots, découpant en noir leurs grandes coques et leurs hautes mâtures sur l’obscurité moins intense du ciel ; placés presqu’au ras de l’eau comme ils l’étaient, ces jonques leur paraissaient gigantesques. Sur chacune d’elles un fanal brillait au pied du mât, il était masqué d’instant en instant par une sentinelle qui allait et venait sur le pont.

— Ces sentinelles vont nous apercevoir, dit Raïden à voix basse.

— Non, répondit le prince, le fanal éclaire l’endroit