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— Chaque mot tombé de ta bouche est pour moi comme serait une perle fine pour un avare.

— Je serai bref, dit Hiéyas, la parole me fatigue. Sache d’abord, mon fils, que le prédécesseur de Go-Mitzou-No, le mikado actuel, m’honora autrefois du titre de siogoun. C’était après la mort de Taïko. Je ne fis pas parade de ce titre pour ne pas porter ombrage aux amis de Fidé-Yori. Je laissai les princes et le peuple prendre l’habitude de m’appeler le régent. Que m’importait le nom par lequel on désignait le pouvoir, pourvu que le pouvoir fût entre mes mains. Mais aujourd’hui, le titre de siogoun est pour moi de la plus haute importance, car il est héréditaire, et je puis abdiquer en ta faveur. Tu parlais tout à l’heure du siogoun. Le siogoun, c’est moi. Fidé-Yori a reçu, il est vrai, le même titre, et je n’ai pas rappelé à ses insolents conseillers que ce titre m’appartient. J’ai agi prudemment. J’étais entre leurs mains, ils m’auraient assassiné. Mais à présent j’entreprends cette guerre, sache-le bien, comme seul représentant du pouvoir régulier. J’ai fait broder sur mes bannières les trois feuilles de chrysanthème qui forment les insignes qui m’ont été donnés par l’ancien mikado ; et c’est au nom de son héritier que je conduis mes armées. J’agis sans sa volonté, c’est vrai ; mais dès que je serai victorieux, il approuvera mes actes.

Hiéyas se tut un instant et but une gorgée de thé.

— Seulement, reprit-il bientôt, la mort peut me surprendre, elle me menace, et il faut qu’après moi mon œuvre soit achevée. C’est pourquoi j’abdique aujourd’hui en ta faveur. Tu demeureras au château de Mikava à l’abri des hasards de la guerre, veillant sur ta fille, qui peut servir un de mes projets, Jusqu’au jour où la victoire te proclamera le maître du Japon ; alors