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contre le prince de Nagato et contre elle-même une calomnie outrageante ; elle insultait la souveraine avec l’intrépidité d’une âme qui a tout perdu et oppose à la vengeance un bouclier : le désespoir.

La Kisaki, se sentant impuissante à punir, fut prise d’une vague terreur et elle dompta sa colère. Comprendre l’intention blessante des paroles de Fatkoura, n’était-ce pas avouer une coupable préoccupation, un intérêt indigne de sa majesté pour l’amour que par sa beauté elle avait fait naître dans le cœur d’un de ses sujets ?

Elle complimenta Fatkoura d’une voix très tranquille sur l’élégance de son poème, puis elle lui fit remettre par un page le prix du concours. C’était un charmant recueil de poésies, pas plus grand que le doigt, la mode étant alors pour les livres d’être le plus petits possible.

Quelques heures plus tard, tandis que le prince de Nagato, accoudé au rebord d’une terrasse, contemplait du haut de la montagne le soleil couchant qui épandait dans le ciel des effluves pourpres, la Kisaki s’approcha de lui.

Il leva les yeux vers elle, croyant qu’elle voulait lui parler, mais elle se taisait ; les regards perdus à l’horizon et tout attristée, elle gardait une attitude solennelle.

Les reflets de l’Occident empêchaient de voir sa pâleur. Elle dominait une émotion douloureuse et voulait retenir une larme qui frissonnait entre ses cils et troublait sa vue.

Nagato éprouvait une sorte d’effroi, il sentait bien qu’elle allait lui dire quelque chose de terrible, il eût voulu l’empêcher de parler.

— Reine, dit-il doucement comme pour éloigner le danger, le ciel ressemble à une grande feuille de rose.