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troublera toujours mes nuits. Des croix étaient plantées sur les pentes en si grand nombre, que la colline semblait couverte d’une forêt d’arbres morts. Parmi les victimes, auxquelles on avait coupé le nez et les oreilles, marchaient trois jeunes enfants, il me semble les voir encore, défigurés, sanglants, qui montrèrent une intrépidité étrange devant la mort. Tous les malheureux furent attachés sur des croix et on leur perça le corps avec des lances ; le sang ruisselait, les victimes ne se plaignaient pas ; en mourant, elles priaient le ciel de pardonner à leurs bourreaux. Les assistants poussaient des cris affreux, et moi, tout effrayé, je criais avec eux et je cachais mon visage sur la poitrine du prince de Mayada qui me tenait dans ses bras ; bientôt, malgré les soldats qui les repoussaient et les frappaient de leurs lances, les spectateurs de cette horrible scène se précipitèrent sur la colline pour se disputer quelques reliques de ces martyrs, qu’ils laissèrent nus sur les croix.

Tout en parlant, le siogoun continuait à feuilleter le livre.

— Justement, dit-il avec un mouvement d’effroi, voici l’édit rendu par mon père et ordonnant le massacre :

« Moi, Taïko-Sama, j’ai voué ces hommes à la mort, parce qu’ils sont venus au Japon, se disant ambassadeurs, quoiqu’ils ne le fussent pas ; parce qu’ils ont demeuré sur mes terres sans ma permission, et prêché la loi des chrétiens, contrairement à ma défense. Je veux qu’ils soient crucifiés à Nakasaki. »

Fidé-Yori arracha cette page et quelques pages suivantes, contenant des lois contre les chrétiens.

— J’ai trouvé ce qu’il fallait retrancher de ce livre, dit-il.