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dant à une confidence, mais le jeune homme rougit un peu et changea de conversation.

Tu vois, dit-il en ouvrant un volume qu’il tenait sur ses genoux, j’étudie le livre des lois, je cherche s’il n’a pas besoin d’être épuré, adouci.

— Il contient un article que je te conseille de supprimer, dit Nagato.

— Lequel ?

— Celui qui a trait au suicide mutuel par amour.

— Comment est-il donc ? dit Fidé-Yori en feuilletant le livre. Ah ! voici « Lorsque deux amants se jurent de mourir ensemble et s’ouvrent le ventre, leurs cadavres sont saisis par la justice. Quand l’un des deux n’est pas blessé mortellement, il est traité comme assassin de l’autre. Si tous les deux survivent à leur tentative de suicide, ils sont mis aux rangs des réprouvés. »

— C’est inique, dit Nagato n’a-t-on pas le droit d’échapper par la mort à une douleur par trop vive ?

— Il est une religion qui dit que non, murmura Fidé-Yori.

— Celle des bonzes d’Europe ! celle dont tu as embrassé la doctrine, d’après la rumeur publique, dit Nagato en tâchant de lire dans les yeux de son ami.

— J’ai étudié cette doctrine, Ivakoura, dit le siogoun, elle est touchante et pure et les prêtres qui l’enseignent se montrent pleins d’abnégation. Tandis que nos bonzes ne cherchent qu’à s’enrichir, ceux-là méprisent les richesses. Et puis, vois-tu, je ne puis oublier la scène terrible à laquelle j’assistai autrefois, ni le courage sublime des chrétiens subissant les horribles tortures que mon père leur fit appliquer. J’étais enfant alors, on me fit assister à leur supplice pour m’enseigner, disait-on, comment il fallait traiter ces gens-là. C’était près de Nakasaki, sur la colline. Ce cauchemar