Page:Gautier - La Reine de Bangalore, 1887.djvu/23

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus fidèle ami. Alors, elle s’est écriée avec colère :

— Cet homme me prendra donc le cœur de tous ceux qui m’entourent !

— Que signifie cela ?

— Je ne sais. La princesse Lila me faisait signe de parler encore, et j’ai vanté ta force invincible, ta générosité, ton dévouement à me guérir, quand, pour échapper à la honte d’une défaite, je m’étais volontairement jeté sur ton épée. Elle m’écoutait attentivement, et m’a longuement interrogé sur ton intérieur, ta manière de vivre, s’informant si je n’avais rien surpris de tes occupations magiques. Puis elle m’a comblé de présents et m’a laissé partir, disant qu’elle ne pouvait, à son grand regret, me garder près d’elle, puisque j’avais dormi sous ton toit et mangé à ta table, ce qui me rendait à ses yeux impur et réprouvé.

— Toujours ces funestes préjugés !

— C’est ce stupide vizir qui emploie tout son pouvoir à lui obscurcir l’esprit ; la princesse m’a dit, en secret, qu’il devient de plus en plus avide et tyrannique, et qu’elle ne parvient pas à détacher de lui la reine à laquelle il inspire une crainte superstitieuse. Mais voici que les timbales résonnent, les garaouls, qui gardent la tente du roi, ouvrent les rideaux de soie brodée. Je cours reprendre mon rang. A bientôt !

Une double haie de cavaliers, de l’entrée du camp à la tente royale, formait comme une large avenue. Ces hommes, à l’air fier et majestueux, avaient tous un morion de fer, sous leur turban de couleur vive, et