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— Celui-ci m’a donné des preuves d’un dévouement profond et d’une haute intelligence. Je vous assure que je l’aime beaucoup, dit Bussy en posant la main sur la tête de Naïk. Il est fort maigre, j’en conviens, mais c’est là sa seule maladie ; je lui ai d’ailleurs ordonné d’engraisser, et il est obéissant.

— C’est de la folie ! s’écria Kerjean en se laissant tomber sur un siège ; vous vous ferez le plus grand tort, laissez-moi vous le dire, en traînant à votre suite un être qui est un objet d’horreur pour le dernier des valets. Pas un ne vous restera.

— Si les serviteurs me quittent, il me servira mieux qu’eux et, de plus, il me sera précieux pour me perfectionner dans la langue de l’Inde.

— Y pensez-vous, ces gens-là savent à peine parler et s’expriment de la façon la plus grossière !

— Il y a des poètes partout, mon ami ; la poésie ne se trouve pas souillée, elle, pour habiter le cerveau d’un paria ; celui-ci la loge à mon idée, et il s’exprime naturellement de la façon la plus agréable. D’ailleurs, c’est un « valouver » ; connaissez-vous ce mot ?

— Oui, un savant… relatif, dit Kerjean en faisant la moue.

— Il est bien entendu que, si sa présence vous offusque, il ne paraîtra pas devant vous.

— Plaisantez-vous ! s’écria Kerjean d’un air fâché ; dès que vous êtes bien décidé à vous compromettre pour ce maigre bonhomme, je me compromets avec vous. Vous devez avoir vos raisons, je les respecte.

— Merci, dit Bussy en tendant la main à son ami.

— Bonjour, valouver, cria gaiement le jeune officier