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te montrais digne de mon amour, plus la jalousie me dévorait.

— Oui, tu as même songé à me tuer, dit le roi ; j’ai vu ma mort écrite dans l’expression de ton visage, quand je venais vers toi, plein d’impatience, t’apporter le bonheur.

— C’est vrai, dit Bussy, j’ai eu cette pensée horrible, toute ma vie ne suffira pas à la racheter

— Tais-toi, c’est oublié, dit le roi ; je me suis vengé d’ailleurs en te laissant souffrir quelques jours de plus ; pourtant, en fermant de mon sceau la lettre que je voulais d’abord te donner ouverte, je ne pouvais retenir mes larmes à l’idée que je prolongeais ta peine. Mais, j’avais tout fait pour t’éclairer. Je ne pouvais rien de plus ; il n’est pas dans nos coutumes de parler le premier à un homme, fût-il notre frère, de la femme qu’il aime ; contre toutes les convenances, je t’ai cependant nommé plusieurs fois Radiah, ma favorite, pour t’entraîner à m’ouvrir ton cœur, en te laissant voir que le mien était pris ; mais tu n’as pas su me comprendre.

— Je suis indigne de ton pardon, dit le marquis ; mes torts sont si graves que leur poids m’accable ; ils laisseront, malgré ta magnanime bonté, une ombre dans ton esprit.

— Tu me méconnais encore, Gazamfer, si tu crois que je te garderai la moindre rancune, l’amitié est pour moi une chose rare et sacrée que rien n’ébranle. Je t’ai donné la mienne spontanément et tout entière, tellement que l’immense gratitude que je te dois n’a rien pu y ajouter. Et, tu le vois, en ce moment, l’ami