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trop savoir pourquoi, une déception, une inquiétude. Il chercha des yeux l’homme maigre aux allures étranges ; il voulait l’interroger et savoir de lui ce qu’on avait refusé de lui dire. Il l’aperçut qui se traînait maintenant sur le sol et baisait avec une ferveur extraordinaire la trace des pas du brahmane.

— Pardieu ! est-ce un fou ? se demanda Bussy en le voyant dans une espèce de frénésie et marmottant des paroles incompréhensibles.

Mais l’être se releva et redevint calme.

— Approche un peu, lui dit alors Bussy, et causons un moment.

L’homme eut cet air interdit qu’il avait eu déjà, puis attacha sur le blessé un regard profondément triste.

— Seigneur, dit-il en élevant la planchette jusqu’à ses lèvres, j’ai entendu ce que tu as dit tout à l’heure ; tu es un kchatria dans ton pays, et moi, je suis plus vil que la boue des chemins ; tu ne peux pas, sans te déshonorer à jamais, t’abaisser jusqu’à l’apercevoir que j’existe.

— As tu donc commis des crimes bien horribles ? As-tu la lèpre ? demanda Bussy assez inquiet.

— J’ai respecté la vie du plus infime moucheron ; mon corps est sain et ma conscience pure ; mais, pour moi comme pour mes pareils, il n’y a pas de place sur la terre ; dès notre premier cri, nous sommes maudits et réprouvés, nous sommes en horreur au monde.

— Un paria ? dit Bussy, avec compassion.

— Un paria ! répéta l’homme en baissant la tête.