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assez. Ivre de jalousie, je n’ai rien deviné. Ah ! si je n’étais pas auprès d’Ourvaci, je partirais sur l’heure pour m’aller jeter aux pieds du soubab, lui faire oublier mes torts !

Il ne pouvait se lasser de relire ce bienheureux écrit, qui lui faisait éprouver cette dilatation de l’être, cette gaieté fébrile, qui s’emparent de celui qui vient d’échapper à une mort violente.

Un hadjib, saluant, s’avança vers Bussy, lui souffla que la reine attendait l’ambassadeur, pour la cérémonie du Bira qui met fin à l’audience. Il se leva vivement et marcha vers le trône. Lorsqu’il fut près d’Ourvaci, les regards qu’ils échangèrent étaient tellement chargés de flamme et d’une joie si débordante, qu’ils en furent effrayés, et subitement les voilèrent sous leurs paupières, pour dérober leurs pensées à la foule.

Elle se pencha un peu pour lui donner, selon l’usage, des feuilles de bétel et lui verser sur les mains quelques gouttes d’essence de roses.

Les tigres éveillés s’étirèrent en grondant, et Bussy, qui ne les avait pas vus, eut un mouvement de surprise.

— Tu ne les reconnais pas ? dit la reine en souriant ; ce sont les orphelins que tu as faits, en tuant leur mère, pour me sauver.

— Les petits de la tigresse !

— Pouvait-on laisser périr ces abandonnés, qui ne s’étaient encore rendus coupables d’aucun crime ?

Et comme il semblait vouloir s’approcher d’eux, d’un mouvement vif, elle appuya sa main sur le bras du jeune homme pour le retenir.