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Bussy était seul avec Naïk dans le houdah ; il avait tenu à ce que le paria fût de ce voyage, et revint dans le palais où il avait été si humble.

Naïk était maintenant un personnage et on recherchait sa protection. Son titre officiel s’énonçait ainsi : premier Scribe de l’Écriture fine ; et comme soldat, il était lieutenant ; mais on le savait mieux que cela : le favori, le familier du véritable maître ; aussi de très fiers seigneurs se courbaient-ils très bas devant le premier Scribe, qui n’en éprouvait aucun orgueil et les servait de son mieux.

— Te souviens-tu, Naïk, du hangar où l’on m’avait relégué comme une bête immonde ?

— Ah ! mon maître, c’est là que j’ai commencé de vivre ! Je te vois toujours, couché sur des branches vertes, quand on t’apporta blessé ; qui m’eût dit alors que c’était, pour moi, Dieu qui entrait ?

— La reine est fiancée, me dis-tu ce soir-là même, et j’éprouvai déjà un serrement de cœur, presque aussi douloureux que celui qui m’oppresse, aujourd’hui que je vais, au nom du fiancé, annoncer à celle qui est maintenant toute ma vie, que le temps des noces est venu.

— Si le roi savait ta peine, il est certain que, pour la faire cesser, il n’épargnerait rien. Pourquoi ne pas lui avoir avoué la vérité ?

— Pouvais-je éloigner d’Ourvaci une couronne aussi magnifique ? C’eût été un égoïsme odieux.

— Puisqu’elle t’aime, cette couronne lui sera insupportable, et son désespoir doit être égal au tien.

— M’aime-t-elle ? Je me trouve aujourd’hui bien