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— En effet, mon père, dit Bussy, gêné par le regard du brahmane, qui semblait lire dans son esprit, je crois avoir trouvé ce qui, peut-être, nous sauvera.

— Ne dit pas peut-être, car rien n’est plus certain, s’écria le vizir ; tu es tout-puissant ici ; ce que tu décideras sera accepté sans murmure. Salabet-Cingh, présenté par toi, sera proclamé roi avec enthousiasme, et la mort de Mouzaffer, loin d’être un malheur pour la France, servira ses ambitions, car le nouveau soubab, créé par toi, lui sera plus dévoué encore et plus soumis que l’autre.

— Mais nous déshéritons les enfants de Mouzaffer, dit Bussy, n’est-ce pas injuste ?

— Avec des enfants en bas âge, une régence tiraillée en tous sens, que veux-tu que devienne le royaume ? Les complots et les révolutions seront aussi nombreux que les jours, et rien de stable ne pourra s’établir ; tandis qu’avec Salabet-Cingh, un des plus proches héritiers du trône, tu assures une longue paix au Dekan. N’hésite pas, mon fils, je t’en conjure, le sacrifice te sera compté.

— Il n’y a pas de sacrifice à bien servir son pays, dit fièrement Bussy, irrité de se sentir deviné. Ai-je hésité ? c’est alors par un de ces mouvements instinctifs, pareil à cette révolte physique, d’un instant, qu’éprouve le condamné contre une mort que son esprit accepte. Quelle est l’attitude de l’armée ?

— Une grande agitation, dit le vizir ; entends-tu ces rumeurs ? l’inquiétude des umaras est extrême ; mais on attend de voir ce que décidera le comman-