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et familiers, et un attendrissement lui venait en contemplant cette scène de tendresse maternelle.

D’innombrables insectes, brillants comme des pierreries, rayaient l’air et bourdonnaient.

Soudain un coup de feu retentit ; une balle siffla. La tigresse se dressa sur ses pieds, poussa un rugissement rauque, et d’un bond disparut.

Le jeune homme avait vu dans un éclair les rayures du dos et l’éclat sanglant des prunelles ; puis, plus rien ; les petits s’étaient réfugiés dans leur antre, en poussant des miaulements plaintifs. La tigresse était blessée, car des gouttes de sang, éclaboussant les roseaux, marquaient le chemin de sa fuite.

Bussy toucha ses pistolets pour s’assurer que ce n’était pas lui qui avait tiré.

Au même instant, un cri humain, tout proche, le fit tressaillir.

Il s’élança, sautant les obstacles, enjambant les broussailles, et, en quelques pas, il fut devant un spectacle qui lui rendit subitement le sang-froid et le jugement rapide du soldat en face du danger.

Il vit un cheval blanc, cabré, l’œil fou, la crinière éparse, ayant le tigre cramponné à la gorge et, sur le cheval, à demi renversée, une femme étincelante d’ornements d’or.

Bussy, tout en courant, avait tiré son épée ; il fit un dernier bond et, d’un mouvement sûr et net, enfonça l’arme jusqu’à la garde entre les omoplates de la tigresse.

La bête se tordit en arrière, ployant ses reins souples, agonisante ; mais elle eut encore la force