Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/253

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peau d’un tambour, dont la caisse est peinte en bleu. D’autres fument leur pipe de terre blanche, en songeant que c’est peut-être la dernière. Quelques-uns, d’un raffinement tout asiatique, ont déballé leur houka, dont la carafe de cristal, destinée à rafraîchir la fumée, est remplacée par une noix de coco.

La tenue de ces hommes, en campagne depuis plusieurs mois, est irréprochable. Le gouverneur de l’Inde veille à ce que les uniformes soient renouvelés autant qu’il est nécessaire, afin que les soldats français gardent tout leur prestige aux yeux des indigènes. Leurs justaucorps bleus, à revers et parements écarlates, sont intacts, leurs guêtres de toile, parfaitement blanches ; ils ont les cheveux poudrés, soigneusement tressés par derrière, avec deux boucles sur les tempes, assujetties par des lames de plomb, et descendant presque jusqu’au bout de l’oreille ; les moustaches cirées, le tricorne galonné de blanc, bien placé, selon l’ordonnance : enfoncé jusqu’au sourcil droit, s’éloignant du sourcil gauche d’un pouce.

— Quel lambin que ce comte d’Auteuil ! dit un soldat appuyé sur son mousquet, il nous fait faire là le pied de grue ; on ne peut donc pas commencer sans lui ?

— Il faut bien attendre au moins que l’armée soit en vue, dit un autre, avant de nous lancer dans une entreprise qui ferait reculer le diable, deux cent cinquante Français que nous sommes.

— Vrai, là, notre jeune commandant est fou tout à fait, s’écrie un sergent : il croit que nous pouvons marcher au plafond, comme les mouches, et monter contre les murs à pic.