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La joie illumine tous les visages. Après s’être cru perdu, après les longues angoisses du siège, on renaît, plein de gloire, heureux de vivre.

Seul le marquis de Bussy, appuyé à une boiserie, indifférent à toute cette gaieté bruissante autour de lui, s’isole dans une rêverie profonde et douloureuse. Que lui importe la renommée qu’il a gagnée dans cette guerre ? la croix de Saint-Louis qui brille sur sa poitrine ? sous ses rayons il sent un vide affreux lui creuser le cœur. Rien n’est venu de Bangalore où toujours sa pensée retourne, malgré lui. Aucun messager n’apporte cette réponse attendue dans les transes du doute. Pendant le siège, l’absence de nouvelles était toute naturelle, mais depuis ?… Naïk explique le retard par le mauvais état des chemins ; la saison des pluies est de retour, les rivières torrentueuses sont devenues infranchissables, les routes des bourbiers, tout voyage est impossible pendant quelques semaines encore ; mais, plutôt, on a repoussé avec indignation sa folle prétention, on dédaigne de lui répondre. Pourtant le fakir Sata-Nanda semblait lui dire d’espérer ; et il espérait sans vouloir se l’avouer, et il attendait malgré l’inanité de son attente. Tant qu’il avait fallu se battre, l’ardeur de la lutte et la fatigue, brisant son corps, endormaient son impatience ; mais aujourd’hui elle prenait une acuité insoutenable, le brûlait de langueurs mortelles.

— Que le bonheur soit le héraut qui te précède, glorieux capitaine, dit tout à coup, près de lui, une voix harmonieuse, je suis heureux de te voir.

Bussy releva la tête vivement, regardant avec une