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vrait seulement les os et les muscles. Il était nu, moins un lambeau d’étoffe rouge autour des reins ; assis par terre, enchâssant sa barbe pointue entre ses genoux, remontés jusqu’au menton, il remuait du bout de ses doigts, ou plutôt de ses griffes, des lames d’ivoire, couvertes de signes mystérieux, disposées sur le sol, entre ses pieds écartés, et il les regardait avec une grimace comique, du haut de ses genoux, en louchant. À sa droite se tenait debout un interprète, à gauche était posé un coffret en laque persane contenant les talismans.

Au milieu des rires de l’assistance, gardant une gravité presque sinistre, malgré sa bizarre physionomie, le fakir disait le passé et, à ceux qui ne craignaient pas de l’entendre, l’avenir. Il dévoilait aussi les défauts, dénonçait les ivrognes et les débauchés, ce qui soulevait des rires. Parfois un silence subit s’établissait quand il annonçait une mort prochaine ou un malheur. Le sorcier avait été payé pour amuser les invités ; néanmoins on lui jetait des pièces d’argent, qu’il prenait sans remercier et cachait sous son pied.

Chonchon s’avança, un peu rouge et hésitante.

Qu’allait-on lui dire ? Bussy prêta l’oreille.

Le fakir remuait les lames d’ivoire avec plus d’attention, louchant horriblement ; un de ses sourcils relevé disparaissait sous sa chevelure emmêlée ; et il parla d’une voix profonde et basse.

— La source où tu veux boire te donnera quelques jours d’ivresse, mais se tarira sous tes lèvres.

— C’est effrayant ce qu’il me dit là, s’écria Chonchon en se reculant.