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Un pont, par où se rue une foule en démence,
Arc-en-ciel de carnage, ouvre sa courbe immense,
Et, d’un cadre de pierre, entoure le tableau ;
À travers l’arche, on voit une ville enflammée,
D’où montent, en tournant, de longs flots de fumée,
Dont le rouge reflet brille et tremble sur l’eau.

Une barque, pareille à la barque des ombres,
Glisse sinistrement au dos des vagues sombres,
Portant, triste fardeau, des vaincus et des morts ;
Une averse de sang pleut des têtes coupées ;
Des mains, par l’agonie, éperdument crispées,
Avec leurs doigts noueux s’accrochent à ses bords.

Pour recevoir le corps, mort ou vivant, qui tombe,
Le grand fleuve a toujours toute prête une tombe ;
Il le berce un moment, et puis il l’engloutit ;
Les flots toujours béants, de leurs gueules voraces,
Dévorent cavaliers, chevaux, casques, cuirasses,
Tout ce que le combat jette à leur appétit.