Page:Gautier - La Comédie de la mort.djvu/243

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Notre ciel morne et froid, notre horizon de brume,
Où chaque maison dresse une gueule qui fume.
Quel spectacle pour vous, ô fille du soleil !
Vous toute brune encor de son baiser vermeil.
La pluie a ruisselé sur vos vitres jaunies,
Et triste entre vos sœurs au foyer réunies,
En entendant pleurer les bûches dans le feu,
Vous avez regretté l’Amérique au ciel bleu,
Et la mer amoureuse avec ses tièdes lames,
Qui se brodent d’argent et chantent sous les rames ;
Les beaux lataniers verts, les palmiers chevelus,
Les mangliers traînant leurs bras irrésolus ;
Toute cette nature orientale et chaude,
Où chaque herbe flamboie et semble une émeraude,
Et vous avez souffert, votre cœur a saigné,
Vos yeux se sont levés vers ce ciel gris, baigné
D’une vapeur étrange et d’un brouillard de houille ;
Vers ces arbres chargés d’un feuillage de rouille,
Et vous avez compris, pâle fleur du désert,
Que loin du sol natal votre arôme se perd,
Qu’il vous faut le soleil et la blanche rosée
Dont vous étiez là-bas toute jeune arrosée ;
Les baisers parfumés des brises de la mer,
La place libre au ciel, l’espace et le grand air,