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Mes ans évanouis à mes pieds se déploient
Comme une plaine obscure où quelques points chatoient
D’un rayon de soleil frappés.
Sur les plans éloignés qu’un brouillard d’oubli cache
Une époque, un détail nettement se détache
Et revit à mes yeux trompés.

Ce qui fut moi jadis m’apparaît : silhouette
Qui ne ressemble plus au moi qu’elle répète ;
Portrait sans modèle aujourd’hui ;
Spectre dont le cadavre est vivant ; ombre morte
Que le passé ravit au présent qu’il emporte,
Reflet dont le corps s’est enfui.

J’hésite en me voyant devant moi reparaître ;
Hélas ! et j’ai souvent peine à me reconnaître
Sous ma figure d’autrefois.
Comme un homme qu’on met tout à coup en présence
De quelque ancien ami dont l’âge et dont l’absence
Ont changé les traits et la voix.