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En vain l’on se raidit. Toujours d’un flot égal,
Le fleuve à travers tout court au gouffre fatal,
Et dans l’éternité mystérieuse et noire
Entraîne ce gravier que l’on nomme l’histoire.
Quand votre nom serait creusé dans le rocher,
L’intarissable flot qui semble le lécher,
Ainsi qu’un chien soumis qui veut flatter son maître,
De sa langue d’azur le fera disparaître,
Et, si profondément qu’ait fouillé le ciseau,
Le rocher à coup sûr durera moins que l’eau ;
Et vous, mon jeune ami, tête sereine et blonde,
À la fleur de vos ans pourquoi tenter une onde
Qui jamais n’a rendu le vaisseau confié ?
Où retrouverez-vous le temps sacrifié,
Et ce qu’a de votre âme emporté sur son aile
Des révolutions la tempête éternelle ?
Pourquoi, tout en sueur, sous le soleil de plomb,
Le siroco soufflant, suivre un chemin si long,
Et traverser à pied ce grand désert de prose,
Quand le ciel est d’un bleu d’outremer, quand la rose
Offre candidement sa bouche à vos baisers,
À l’âge où les bonheurs sont tellement aisés,
Que c’en est un déjà d’être au monde et de vivre ?
De ses parfums ambrés le printemps vous enivre,