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Qui veillent sans lumière et combattent sans armes ;
Il est des malheureux qui ne peuvent prier
Et dont la voix s’éteint quand ils veulent crier ;
Tous ne se baignent pas dans la pure piscine
Et n’ont pas même part à la table divine :
Moi, je suis de ce nombre, et comme saint Thomas,
Si je n’ai dans la plaie un doigt, je ne crois pas.

Aussi je me choisis un antre pour retraite
Dans une région détournée et secrète
D’où l’on n’entende pas le rire des heureux
Ni le chant printanier des oiseaux amoureux,
L’antre d’un loup crevé de faim ou de vieillesse,
Car tout son m’importune et tout rayon me blesse,
Tout ce qui palpite, aime ou chante, me déplaît,
Et je hais l’homme autant et plus que ne le hait
Le buffle à qui l’on vient de percer la narine.
De tous les sentiments croulés dans la ruine,
Du temple de mon âme, il ne reste debout
Que deux piliers d’airain, la haine et le dégoût.
Pourtant je suis à peine au tiers de ma journée ;
Ma tête de cheveux n’est pas découronnée ;
À peine vingt épis sont tombés du faisceau :